Intervention de Jean Luc LE GUELLEC – FSU –

L’étude de la commission formation sur les enjeux et les défis territoriaux de l’enseignement supérieur en Bretagne se situe entre bilan des réformes et la perspective du schéma régional de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR), le tout dans un contexte marqué par l’incertitude quant aux choix qui seront issus des prochaines échéances électorales.

Depuis 2007, des réformes successives ont profondément bouleversé la paysage du supérieur et affecté le mode de fonctionnement des universités et des centres de recherches avec comme point d’orgue le récent le tohubohu des « investissements d’avenir ». Cette « stratégie du choc » trouve son origine dans le traité européen de Lisbonne qui au nom d’une « économie du savoir » veut soumettre l’ensemble du supérieur et de la recherche à la seule exigence de « compétitivité » des grandes firmes européennes.

La loi de 1984, dite loi Savary, avait pourtant créé la notion de « service public d’enseignement supérieur » comprenant l’ensemble des formations postsecondaires relevant des différents départements ministériels. Cette loi a promu les instances nationales de concertation et augmenté le nombre de conseils centraux des universités dans une perspective démocratique. Dans les années 80 et 90, nous avons pu assister à une dynamique fondée sur le « co » : collectif, cogestion, co-construction, co-pilotage, coopération…Cette dynamique a permis au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche d’accompagner, non sans de grandes difficultés, les deux chocs de la massification et de l’accélération de la recherche techno scientifique. Malheureusement, l’offensive libérale d’imposition de la concurrence comme vecteur principal de l’organisation de l’ESR s’est traduite dans plusieurs lois que la FSU a combattues et qu’elle combat toujours. Il s’agit de la loi de programme pour la recherche (dite loi Goulard de 2006) qui remplace le Comité national d’évaluation par l’AERES et la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (dite loi LRU) avec, associée à cette loi, la réforme du statut des enseignants chercheurs et celle de la formation des maîtres (« masterisation »).

Malgré ce contexte, la FSU a toujours fait le choix, en Bretagne, de favoriser, au sein de la région, la logique de coopération à celle de la concurrence. Dans cette démarche la FSU a souvent été en phase avec les orientations du conseil régional, en particulier, sur le dossier de l’IUFM. Malheureusement, les orientations gouvernementales se sont, jusqu’à présent imposées : nous avons pu une nouvelle fois le mesurer avec l’épisode des « investissements d’avenir ».

Certes, les réponses retenues aux appels d’offres de l’année 2010 ont révélé que la Bretagne était une terre d’élection pour les sciences de la mer et les sciences et technologies de l’information et de la communication et que notre région pouvait contribuer en complément à certains grands centres dans le domaine de la santé et en sciences des matériaux. La vague de 2011 a conforté cette tendance mais ces résultats n’ont pas suffi pour obtenir la reconnaissance du projet « IC Ouest » même en deuxième présentation. C’est peut être parce que ce projet n’était pas assez extrémiste au regard de la philosophie du « grand emprunt » qu’il n’a pas été retenu : trop soucieux d’aménagement du territoire, trop éloigné du modèle des universités américaines…?

La gouvernance est devenu le mot magique qui doit replacer l’ESR français dans la dite « course internationale ». L’échec de beaucoup de projets d’IDEX dans le processus obscur de sélection n’est pas lié à leurs moindres qualités scientifiques mais serait imputable au « défaut d’une gouvernance forte ». Mais cette gouvernance n’est rien d’autre qu’un moyen de prise en main par le pouvoir politique des thématiques de recherche afin de permettre aux intérêts privés de piloter les orientations de cette recherche. Chacun sait que les IDEX ne sont pas des financements en plus pour la recherche mais sont un substitut aux financements publics : les intérêts de l’emprunt ont pour contre partie la baisse des crédits budgétaires. Les perdants paient pour les gagnants. Bien entendu, cette procédure peut créer de grands déserts scientifiques dans le Nord et l’Ouest et peut mettre en danger de grandes universités françaises y compris celles de notre région.

Mais n’allons pas croire que ceux qui ont été retenus sont mieux lotis. A Toulouse, par exemple, le périmètre d’excellence ne concerne que 10% des chercheurs. Non seulement les 90% hors du périmètre vont être exclus de la manne de l’IDEX, mais ils vont subir la double peine. Comme les perdants aux IDEX, ils vont voir leurs crédits budgétaires baisser mais de plus les universités comme les organismes, voire les régions, vont devoir concentrer les crédits qu’ils attribuaient auparavant sur le périmètre du territoire d’ « excellence ». Ainsi, le CNRS focalisera 42% de ces crédits sur ce périmètre. Tout aussi grave pour la FSU est la régression démocratique qu’engendre l’IDEX puisqu’il se substitue en effet aux instances universitaires pourtant en cours de renouvellement.

Dans la perspective du schéma régional de l’enseignement supérieur et de la recherche, la FSU considère que les problématiques de l’enseignement ne doivent pas être découplées de celles de la recherche, elle propose comme axes de travail :

- sortir des logiques qui ont présidées aux réformes et au « grand emprunt ».

- s’émanciper du fétichisme des évaluations plus que contestables (classement de Shangaï, jurys du grand emprunt……).

- penser l’évolution de l’ESR en lien avec l’objectif d’une nouvelle étape de démocratisation du système éducatif en Bretagne.

- réfléchir globalement à la carte des formations supérieures à l’échelle régionale dans toutes ses dimensions (transition lycée/enseignement supérieur, formation des enseignants, professionnalisation, formation continue, formation à distance…) avec l’objectif d’éviter une mise en concurrence stérile et l’ouverture/fermeture de formations à l’aveugle.

- préserver les arts, les lettres, les humanités et les sciences humaines et sociales.

- développer des formations et des réseaux de recherche pluridisciplinaire

- contribuer à la place et à la redéfinition des dispositifs à vocation régionale (IUFM, Campus numérique…)

- renforcer la démocratie en instaurant des modalités de régulation de la politique de formation et de recherche sur des bases paritaires. Il faudrait, en particulier, revoir les missions et la composition des instances du PRES UEB afin d’y inclure des représentants élus des personnels de l’ESR.

- élaborer un cadre nouveau et transparent pour les relations entre l’ESR et ses partenaires extérieurs, en particulier les entreprises, afin d’assurer la pérennité des missions de service public et faire en sorte que ces relations ne soient pas surdéterminées par la seule recherche de nouveaux financements.

Ces axes peuvent converger avec certaines préconisations du rapport du CESER même si chacun a bien compris que la FSU a une opposition plus explicite aux politiques gouvernementales en cours.