Comment concrétiser les valeurs au cœur de notre République ?
Il y a quelque temps j’ai eu l’occasion de parler à mes élèves de mes origines : né à Marseille de parents immigrés italiens. « Mais alors, monsieur, vous n’êtes pas français ! » s’exclama l’un d’eux en riant, approuvé par une bonne partie de la classe. Ce n’était pas un reproche, plutôt une joyeuse découverte. J’eus beau, interloqué, expliquer que les origines n’avaient rien à voir avec la nationalité : pour eux c’était une évidence, je n’étais pas plus français que nombre d’entre eux qui, tout en ayant sans conteste la nationalité française, se vivaient, et étaient perçus par les autres, comme beurs, portugais, espagnol sénégalais, chinois… Il y avait certes un peu de taquinerie dans cette résistance mais, derrière, il y avait aussi un fond, un ressenti, un vécu. Cette petite anecdote en dit long sur une société qui, peu à peu, en est venue à construire une image et un vécu de la France comme excluant ceux qui ne correspondent pas à un certain modèle. Une France dont une part de la jeunesse qui y est née et qui y vit ne se sent plus totalement partie prenante.
En contrepoint de cette expérience me revient à la mémoire la fameuse vidéo de Brice Hortefeux, non pas ses propos, mais ceux d’une anonyme responsable de l’UMP perçue dans le brouhaha : parlant du jeune Amine, elle entend souligner qu’il est bien des « nôtres » (« c’est notre petit Arabe ») et s’exclame : « Il est catholique, il mange du cochon et boit de la bière. » On n’a pas assez souligné tout ce qu’avait de ridiculement odieux ce propos, offrant un modèle caricatural de cette « identité » pseudo-française qui se substitue à celui du béret et de la baguette de pain et qui implicitement désigne le musulman comme étranger, sinon ennemi. Dans ce contexte, lorsque je vois dans quelles conditions est relancé le débat sur « l’identité nationale », au moment même où ceux qui le lancent multiplient les gestes de rejet envers les immigrés sans papiers, je ne peux qu’être inquiet sur les motivations à peine masquées et sur les conséquences d’un tel débat. Bien loin de mettre en lumière la richesse, la complexité et les contradictions des valeurs et des pratiques qui se sont forgées au cours de notre histoire, ne s’agit-il pas de construire de toutes pièces une « identité » fantasmée, prétexte à stigmatiser et exclure davantage une partie de ceux qui vivent en France ?
En réalité, le débat fondamental est et doit être celui du « vivre ensemble » : comment dans un pays, qui a depuis des siècles été un pays d’immigration et dont une des forces est la diversité des cultures, créer les conditions pour que tous ceux qui y vivent se sentent appartenir à une même société et relever d’une même citoyenneté, qu’ils aiment le porc ou le mouton, les spaghetti ou les nouilles, l’opéra ou le rap, qu’ils croient en Jésus, Jéhovah ou en rien ?
Comment concrétiser les valeurs au cœur de notre République, celles de liberté, d’égalité, de fraternité, mais aussi de laïcité, de solidarité, de démocratie, de justice, de tolérance ?
Comment faire que chacun les perçoive comme ayant une effectivité indiscutable pour lui et toute la société et, à partir de là, puisse les reconnaître comme supérieures à toutes les autres ?
Comment faire que les enfants et les jeunes qui vivent dans ce pays ne s’y sentent pas précaires ? Cela implique une politique qui se donne comme objectif de rendre effective l’égalité des droits. Cela implique aussi que l’école joue tout son rôle de formation de la jeunesse et de construction d’une citoyenneté et que soit lancée une réflexion d’ampleur sur ce que doit être, non pas un socle commun, mais une culture commune ambitieuse offerte à tous. Il est malheureusement fort à craindre que ce débat soit occulté au profit d’une médiocre opération politicienne.