Intervention de Jean Luc LE GUELLEC – FSU

 

L’étude présentée aujourd’hui a, comme premier mérite, de clarifier la terminologie employée quand on évoque les différentes situations de décrochage. Elle ne se limite pas au décrochage scolaire en ne faisant pas l’impasse sur les ruptures de contrats d’apprentissage, elle décrit de manière exhaustive les différents dispositifs existants en Bretagne dans la lutte contre le décrochage. Enfin, elle avance des préconisations pour le repérage et le suivi des jeunes sortis de formation initiale sans diplôme. Elle dégage quelques pistes d’aides à apporter en matière de « compensation » pour les jeunes concernés même si le terme de « compensation » est pour le moins impropre. L’étude se concentre principalement sur les « déjà décrochés » même si elle insiste sur l’importance de la prévention du décrochage qui incombe à l’Education nationale. C’est sur cette question que porte l’intervention de la FSU, en complément et en amont de l’objet principal de ce rapport.

Il est difficile de faire un portrait-robot du décrocheur mais nous savons qu’il s’agit le plus souvent d’un jeune dont la famille éprouve d’énormes difficultés sociales avec un rapport distant voir méfiant à l’institution scolaire. L’échec se construit très tôt, nous constatons d’ailleurs que souvent les jeunes sortis sans diplôme ont redoublé une classe primaire. Arrivés au collège, l’échec se précipite avec des difficultés d’organisation, de maitrise du langage et surtout une incompréhension par ces jeunes de ce qu’on attend d’eux d’où alors un sentiment d’injustice. Du côté des établissements scolaires, c’est trop souvent l’impuissance qui domine face à la grande difficulté. L’échec scolaire se transforme progressivement en problèmes de discipline. Le « décrocheur » perturbe l’ordre de la classe par son comportement et l’établissement réagit trop souvent par une accumulation de sanctions ou par la réunion du conseil de discipline : réaction de protection mais pas résolution du problème. Au contraire, ces élèves finissent par renoncer et s’évaporent et alors risque de commencer la marginalisation car beaucoup ne savent même pas où s’adresser.

La priorité doit donc être donnée à la prévention de l’échec, cette exigence que porte la FSU renvoie aux fondements même de l’Ecole et je ne vais pas ici décliner tout notre programme de transformation du système éducatif mais seulement alerter sur quelques idées en vogue qui nous semblent conduire à des impasses.

Pour apprendre, il faut du temps et de la sérénité.

L’injonction à la souplesse et à la flexibilité a conduit à une multiplication de dispositifs d’accompagnement et, surtout, une fragmentation des emplois du temps. Au collège, niveau où se manifeste le plus l’échec, il faudrait, au contraire, avoir des séances plus longues laissant le temps aux élèves en difficulté d’avoir des démarches plus inductives, séances qui intègreraient dans le temps scolaire le temps du travail personnel.

La sérénité est sans doute ce qui manque le plus, il nous faudrait faire baisser considérablement le niveau d’anxiété de tous les acteurs : élèves, parents et professionnels de l’éducation. Cette anxiété vient de la crainte de l’avenir professionnel conjuguée à la folie évaluative. Nous savons pourtant que ceux qui réussissent vivent leur présence à l’école dans l’ici et maintenant de l’activité intellectuelle centrée sur le contenu des savoirs. Ceux qui échouent à l’inverse, instrumentalisent leur présence ne se pensant là que pour un objectif différé : avoir un métier plus tard. C’est la raison pour laquelle l’injonction au projet professionnel au niveau du collège et même parfois du primaire est un facteur aggravant les difficultés. L’idée de construire un parcours professionnel dès le collège est une impasse d’autant que ce sont aux élèves les plus en difficultés, donc les moins armés pour le faire, à qui on demande d’anticiper un métier. A l’opposé de la logique des compétences qui veut faire entrer très précocement à l‘Ecole l’objectif de l’ « employabilité », la FSU propose à l’inverse de dégager l’école et le collège du poids et de l’anxiété de l’avenir professionnel. Une autre démarche, beaucoup plus efficace, serait d’intégrer à la culture commune à transmettre, des éléments de cultures professionnelles et technologiques y compris en terme de savoir-faire. Ce fut l’objet de la création de la discipline « technologie » au collège mais qui a malheureusement été détournée de son objectif premier. Dans cette optique, des métiers doivent être présentés comme objets de savoir pas comme anticipation d’un avenir. L’information passe, les savoirs restent. Multiplier les « informations sur les métiers », proposition récurrente, ne règle ni les problèmes cognitifs rencontrés par les élèves, ni les difficultés d’orientation-affectation qui relèvent d’une problématique beaucoup plus riche et large.

C’est aussi la logique dite « des compétences » qui a produit la folie évaluative terriblement anxiogène. Déjà, l’inflation de la notation est une des fragilités de notre système éducatif mais comme si ça ne suffisait pas on y a ajouté une batterie d’évaluation à donner le tournis. Prenons le collège : attestation de sécurité routière, niveau A2 en langue vivante, le B2i, rapport de stage en milieu professionnel en 3ème, le tout s’ajoutant aux notes scolaires classiques. Au sein de chaque discipline, les enseignants sont invités à découper les savoirs en une multiplication de compétences se transformant en nombre d’item d’évaluation. « J’ai l’impression de passer mon temps à évaluer et de moins en moins à enseigner » est une réflexion qu’on entend de plus en plus dans les salles de professeurs. Il faut inverser cette tendance qui pénalise d’abord les élèves en grande difficulté. Sans supprimer l’évaluation, il en faut en faire baisser considérablement l’intensité.

Ces évolutions empêchent certains élèves de comprendre le sens des savoirs qu’on veut leur transmettre d’autant que le dogme répété de l’individualisation peut les conduire à penser qu’on peut apprendre seul. Nous n’apprenons que des autres avec les autres. La vulgate du « apprendre à apprendre » a renforcé ce mythe de l’ « apprenant solitaire » en répandant l’illusion qu’il pouvait y avoir une façon d’apprendre indépendante de ce qu’il y a à apprendre. Apprendre c’est acquérir des connaissances et maîtriser des savoirs, il y a autant de méthodes d’apprentissage que de domaines de savoirs.

Pour prévenir le décrochage scolaire et donc lutter efficacement contre l’échec, il faut donc donner du temps aux apprentissages et réduire l’anxiété. Il faudrait, aussi, très tôt dénouer
les blocages cognitifs rencontrés par certains jeunes (ce qui est autre chose que de repérer précocement des supposés handicaps naturels). Il faudrait réduire la distance entre la culture scolaire et les cultures d’origine des élèves. Il faudrait en finir avec la hiérarchie des savoirs…
« Construire l’employabilité », « évaluer les compétences », « informer sur les métiers », « apprendre à apprendre », « individualiser les parcours » autant d’injonctions qui semblent de bon sens mais qui ne font qu’accompagner la vassalisation de l’institution scolaire aux exigences de la compétition économique.

Pour la FSU, si nous souhaitons la réussite de tous, c’est un autre chemin qu’il faut prendre.