Intervention de Jean Luc LE GUELLEC – FSU –

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Le projet d’avis qui nous est soumis a raison d’insister sur le contexte d’incertitudes lié au débat parlementaire sur la réforme territoriale. Pour autant, ce même projet invite le conseil régional à anticiper sans délai et avec volontarisme la redistribution des compétences décentralisées sans que personne ne sache de quelles compétences il s’agit. C’est bien pourquoi aucune compétence précise n’est citée dans ce projet, ce qu’on peut comprendre tant il est difficile d’anticiper l’inconnu.

Création des métropoles, redéfinition des intercommunalités, redécoupage des régions, suppression annoncée des départements, d’abord totale et maintenant partielle : toute cette précipitation a pour effet de dessaisir les citoyens du nécessaire débat démocratique et les annonces qui se contredisent de jour en jour résultent d’un débat confisqué par quelques grands élus aux intérêts de pouvoir opposés. La logique qui préside à ce processus en apparence chaotique est quant à elle limpide : après avoir réduit le rôle de l’Etat dans ses missions de services publics il s’agit de contraindre les collectivités locales à réduire à leur tour le périmètre d’intervention au nom du dogme de la réduction des dépenses publiques. La concomitance de la réforme territoriale avec le lancement de la « Revue des Missions de l’Etat » est de ce point de vue tout à fait éclairante : réduction des agents publics, externalisation et privatisation sont les conséquences attendues de ces choix, avec comme corollaire la mise en concurrence des territoires. Y compris dans le projet qui nous est présenté, l’accent mis sur la compétition entre régions se traduit dans l’idée non coopérative que la Bretagne pourrait tirer un avantage comparatif des difficultés des autres régions qui, contrairement à la nôtre, seront concernées par de lourdes réorganisations du fait de leurs nouvelles frontières géographiques.

Le projet déplore que la notion de subsidiarité ne soit pas clairement définie ; mais elle ne peut pas l’être et c’est une illusion technocratique que de le croire car aucune définition de gestion ne peut se substituer aux choix politiques. La FSU considère que l’éducation comme l’orientation scolaire ou encore la mission d’accompagnement des demandeurs d’emploi, doivent rester nationales ; d’autres souhaitent leur régionalisation. C’est par le débat démocratique que cette question peut être tranchée, la notion de subsidiarité ne sera d’aucun recours car elle peut être interprétée dans des sens opposés. Il en va de même pour les questions environnementales, l’étude de la section prospective sur « pouvoir et démocratie en Bretagne à l’épreuve du changement climatique » montre bien la difficulté pour définir le niveau pertinent d’intervention des pouvoirs publics suivant qu’il s’agisse de politique d’adaptation au changement climatique ou de politique d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Cette étude démontre ainsi que subsidiarité et proximité n’ont de sens que connectées à des enjeux politiques concrets, sinon elles tournent « à vide ». La FSU s’étonne d’ailleurs que cette étude prospective ne soit pas mentionnée dans les « avis et études précédentes adoptées par le CESER et utiles pour ce rapport ».

Puisqu’il semble acquis que les collèges pour le bâti et les agents TOS vont être transférés à la Région, comment dans ce cas se posera la question de la proximité ? La FSU, comme le CESER, a souvent regretté que les élus régionaux aient des difficultés pour assurer assidument leur présence dans les conseils d’administration des lycées alors qu’il s’agit là de ce qui devrait être le lien principal entre la communauté éducative des établissements et le conseil régional. Qu’en sera-t-il quand le nombre d’EPLE à la charge de la Région va être multiplié par trois (217 collèges publics s’ajouteront aux 98 lycées publics) ? L’objectif affiché d’économie dans les comptes publics et de « chasse aux doublons » à tous les niveaux génère de l’anxiété pour les personnels ; quel impact de ce transfert annoncé en termes de mutualisation de services ou encore sur les missions d’accueil, de restauration, d’entretien ?

« Associer pleinement les personnels au redéploiement de l’action publique » est une intention louable mais elle pose deux problèmes, le premier est que le redéploiement est considéré comme acquis sans discussion ; le second c’est que les personnels ne seraient consultés que sur les modalités de l’adaptation donc en aval des décisions déjà prises. Certes, ce ne sont pas aux agents publics de définir les politiques publiques à engager mais ne pas les consulter en amont de la « redistribution des compétences » c’est se priver de leur expertise professionnelle et nier le sens qu’ils donnent à leur métier. Prendre en compte la connaissance du terrain des personnels des collectivités territoriales éviterait aux décideurs de commettre bien des erreurs. Mais il est vrai qu’une telle écoute exposerait les décideurs à entendre les besoins et les attentes vers davantage de service public.

La FSU sera extrêmement vigilante, quel que soit le scénario effectivement mis en œuvre, sur la question des agents, de leurs statuts et de leurs missions, inséparables du développement des services publics. Les transferts éventuels de personnels ne peuvent se faire qu’avec leur accord et le maintien de leurs droits et avantages sociaux. Toute harmonisation devra donc se faire sur le régime le plus favorable en matière de temps de travail, de jours de congés, de régime indemnitaire et de facilitation de mobilité choisie.

La FSU considère qu’un nouvel acte fort de décentralisation devrait s’appuyer sur un bilan des étapes précédentes et constituer un rendez-vous autour de la question du rôle de l’État et des collectivités territoriales. Quels services publics nécessaires pour répondre aux besoins des usagers ? À quels niveaux définir l’exercice des différentes missions, et avec quels financements ? Quelles instances nouvelles de démocratie locale, avec quels acteurs et quels moyens pour les représentants des salariés devant de nouveaux secteurs et de nouvelles responsabilités ? Enfin quels mécanismes pour réduire les inégalités et assurer les solidarités nécessaires entre les différents territoires ? C’est sur cette base qu’il est possible d’en déduire les structures territoriales adéquates ainsi que leurs limites géographiques.

La précipitation voulue par le gouvernement tourne le dos à cette exigence préalable. Le discours sur la compétitivité des territoires est inquiétant, car compétition et concurrence n’ont jamais été un facteur d’égalité ; il marque cependant la cohérence des choix qui vont être imposés aux citoyens sans qu’ils soient directement consultés.

Le projet d’avis du CESER propose d’ajouter de la précipitation à la précipitation, l’idée d’agir « sans délai » ne laisse aucune place au temps du débat démocratique sur des enjeux pourtant considérables.

La crise de notre régime politique est très profonde, la défiance des citoyens à l’égard des responsables politiques comme des institutions est justement évoquée dans le projet d’avis. La fuite en avant qui nous est proposée ne peut qu’intensifier cette crise avec des perspectives sombres que personne aujourd’hui ne peut ignorer.

Revitaliser notre démocratie pourrait nous sortir de l’impasse, mais une nouvelle architecture des collectivités locales peut-elle accomplir cette tâche en laissant inchangé tout le reste de l’édifice institutionnel de l’Etat ? La question mérite d’être posée.