Intervention de Jean Luc LE GUELLEC – FSU-
La première partie de l’étude sur les univers sociaux et culturels des jeunes consacre une approche de la jeunesse très éloignée des idées reçues. Bien sûr, il y a matière à débat et l’invention marketing américaine de la « Génération Y » n’est pas ce que nous retiendrons le plus.
Mais l’essentiel est qu’avec cette étude, nous mesurons à quel point les transformations des pratiques culturelles des jeunes percutent la culture que se propose de transmettre l’Ecole. Le nomadisme culturel que permet la « culture des écrans », le souci du groupe et de l’indifférenciation, la surconsommation musicale, le goût de la communication horizontale en cercle restreint autant d’évolutions qui peuvent contrarier, aux yeux des nouvelles générations, la légitimité des savoirs scolaires. Par ailleurs, le chômage de masse et la précarité accroissant l’angoisse pour l’avenir, le rôle de l’Ecole s’en trouve de plus en plus brouillé, compliqué.
Pour la FSU, si nous voulons relancer la démocratisation, il nous faut construire une nouvelle culture scolaire en tenant compte de l’hétérogénéité des nouvelles pratiques des jeunes en termes, par exemple de culture numérique. L’âge ne fait pas disparaître les déterminants sociaux. Dans cette perspective, se contenter de s’adapter aux nouvelles pratiques culturelles des jeunes serait un renoncement démagogique à toute exigence, à l’inverse, sommer tous les jeunes de rentrer dans la culture des élites étanche à toutes les mutations en cours conduit à une impasse. Quelle culture pour tous ? Voilà le grand chantier à ouvrir, il suppose de reconfigurer les savoirs scolaires, de les déhiérarchiser, de rénover méthodes et pratiques d’enseignement
La FSU dénonce et combat, avec beaucoup d’autres, la politique désastreuse de suppressions de postes dans l’Education nationale mais les régressions en cours affectent, aussi, le sens des savoirs scolaires et donc la perception, par les jeunes, du rôle de l’Ecole. Le système éducatif est sommé de mettre la seule perspective professionnelle au cœur de ses préoccupations, de faire de l’orientation précoce un axe central et, plus globalement, de se mettre au service exclusif des besoins déterminés par les entreprises. L’usage démesuré des notions de « compétences » ou d’ « employabilité » traduit bien la large domination de la vision utilitariste de l’éducation et de la formation. Ainsi, nous envoyons aux jeunes un message qui leur signifie que la « vraie vie » est toujours la « vie différée ». Comment donner du sens, ici et maintenant, aux activités d’apprentissage si leur seul objet se situe dans un demain incertain ? Comment prendre intérêt et donner du sens aux savoirs si on les décompose en tranches de compétences par le seul souci formel de faciliter l’évaluation ? La notion d’ « égalité des chances » ne fait d’ailleurs que renforcer cette approche puisqu’elle considère la vie comme une loterie, l’important étant que tout le monde soit sur la même ligne de départ et, ensuite, que le « meilleur gagne ». Le temps des études ne serait-il donc qu’une préparation pour s’armer dans la concurrence de tous contre tous ? L’égalité des droits, c’est autre chose. Réaffirmer, dans une vision émancipatrice de la personne, la dimension culturelle des savoirs à transmettre, c’est ramer à contre sens et, surtout, à contre sens des réformes en cours.
Pourquoi supprime-t-on l’enseignement d’histoire géographie en terminale scientifique ? Pourquoi supprime-t-on l’enseignement de science politique en 1ére ES ? Pourquoi, dans les nouveaux programmes de sciences économiques et sociales, les thèmes de la famille ou des classes sociales disparaissent ? Pourquoi les options d’arts, de langues anciennes, de langues vivantes autres que l’anglais et l’espagnol ne sont plus financées ? …On pourrait ajouter : pourquoi parmi les 52 « Equipex » retenus dans la première vague du « Grand emprunt » seuls 5 relèvent des SHS. La vision instrumentale de l’enseignement concerne donc, aussi, la recherche.
Nous sommes bien d’accord pour affirmer que les questions économiques sont importantes. Les angoisses liées à l »insertion professionnelle sont, ô combien, légitimes mais appréhender toutes les questions de société par ce prisme peut conduire à une impasse, y compris, pour l’avenir économique. C’est pourquoi la FSU se satisfait de cette étude sur les univers sociaux et culturels des jeunes car elle peut, par les débats qu’elle va susciter, aider à modifier les perceptions qui guident les politiques de la jeunesse.